Homesick est la première
œuvre de fiction du réalisateur franco-japonais Koya Kamura. Ce court métrage,
sorti en 2019, se situe au Japon, aux alentours de Fukushima et dans sa no-go zone, deux ans après la
catastrophe nucléaire. Le père du réalisateur est né à Nagasaki, deux ans avant
le bombardement nucléaire, et souffrira des séquelles dues à l’exposition aux
radiations toute sa vie. Le fait que ce court métrage soit le premier du
réalisateur est signifiant, puisque le thème de la catastrophe nucléaire et de
son impact sur les familles l’a travaillé toute sa vie.
Le personnage principal, Murai, est un
père de famille vivant seul dans un des camps pour réfugiés de la catastrophe,
en périphérie de la ville. Son travail consiste à se rendre dans la no-go zone afin d’aller y chercher des
objets, comme des photos de famille ou des jouets d’enfants, que les réfugiés
ont oubliés dans leur maison, maintenant rendue inhabitable. C’est durant ces
excursions, quasiment quotidienne, qu’il peut revoir son fils Jun, mort lors de
la catastrophe. Il revient donc inlassablement dans cette zone funeste et
dangereuse pour sa santé, afin de faire revivre, par ses souvenirs, ce fils
qu’il a perdu, le père en combinaison contre les radiations, le fils les jambes
et les bras nus.
Le court métrage oscille donc entre deux
mondes, le monde des vivants, amer et impersonnel, où les réfugiés sont
entassés dans des préfabriqués installés dans l’urgence, et le monde des morts,
du souvenir, où Murai recherche en vain à retrouver l’ancienne vie des autres
mais surtout la sienne, son fils, et peut-être sa femme.
Malgré la critique du nucléaire, cause qui
tient à cœur au réalisateur, le film se concentre sur un aspect très précis de
la culture japonaise qu’il essaie de développer : l’importance du deuil. Les
voisins de Murai ne parlent que de cela : cette année, deux ans après la perte
de nombreux proches, ils vont enfin pouvoir faire leur cérémonie de deuil.
Cette action est primordiale : quand on rend les libations à un proche, on
fait bien plus que l’honorer, c’est le premier pas vers l’acceptation de leur
trépas, qui aboutira à la reconstruction des vivants, à la construction d’une
vie sans le défunt. Sans cela, et surtout dans la culture nipponne, l’état de
tristesse des vivants et de regret du défunt peut rester constant. Murai,
contrairement à ses voisins du village de préfabriqué, dit au début du film
qu’il n’installera pas une lanterne pour son fils lors de la cérémonie. Le
personnage de Murai en devient alors intéressant, car on comprend qu’il ne veut
pas faire le deuil de son fils, de sa vie antérieure : il vit dans le
passé, s’accrochant à ses souvenirs et n’acceptant pas le présent.
En effet, dans sa vie au village, tout
montre qu’il ne s’installe pas, il ne considère pas le présent comme ce qu’il
est, mais comme une contrainte, une étape difficile avant le retour à la vie normale,
à sa famille dans sa maison d’origine. Il vit dans un appartement vide, il se
nourrit de nouilles instantanées dans des bols en carton avec des baguettes à
usage unique. La lumière, très travaillée dans le film, sait sublimer les
décors tragiquement somptueux de Fukushima en ruines où se retrouvent le père
et le fils, comme une version idéalisée du souvenir. Dans les scènes de
l’appartement de Murai, la lumière est extrêmement sombre. Il vit dans la
pénombre, faiblement éclairé par des néons de cuisine et des lumières de
bureaux. Dans le monde des vivants, Murai vit dans le noir, comme un mort, ce
qui est une façon désespérée de se rapprocher de son fils qui l’est
vraiment, lui. Sans son fils, Murai n’accepte pas de vivre. Cette répétition
dans la vie antérieure, quasiment religieuse dans sa perpétuation aliénante,
est aussi illustrée par le personnage de la mère de Jun. On comprend qu’elle
est encore vivante, mais qu’elle a quitté Murai. Ce dernier l’appelle
inlassablement, et tombe systématiquement sur sa messagerie. Il raconte donc,
dans le vide de son répondeur, sa journée, ses angoisses, etc. Murai sait
qu’elle ne décrochera jamais : le but n’est pas de la reconquérir, mais de
perpétuer l’illusion de leur vie antérieure, de continuer de vivre de la même
manière. Ce personnage inspire donc une grande pitié aux spectateurs tant il
est malheureux et aveuglé par sa douleur.
La trame du court métrage se développe
autour du procédé de deuil de ce père. Il se fait petit à petit, grâce à l’aide
d’une voisine, qui va faire naître chez lui des sentiments amoureux. Cette
personne lui redonne goût à la vie présente, lui proposant significativement de
cuisiner pour lui. Ainsi, malgré les tourments liés à l’impression d’abandonner
son fils, de le laisser mourir, il accepte d’allumer une lanterne pour son
enfant, pour le libérer : Murai accepte enfin sa mort.
Cette histoire, émouvante sans pour autant
nous tirer des larmes, m’a énormément touchée. Ce portait si tragique et
pourtant si authentique de l’amour paternel est très juste dans son équilibre
entre détresse et moments de vie, presque d’oubli, où Murai parle et rit avec
sa voisine. Les personnages en deviennent humains, leur douleur devient
universelle.
Claire
Homesick, entre la vie
et la mort
Deux ans
après la catastrophe nucléaire de Fukushima, Murai hante la no-go zone afin de
retrouver et de rendre à leurs propriétaires les objets de valeur laissés
derrière eux pendant l’évacuation. Mais derrière ce théâtre mortifère, c’est
l’inconscience, la culpabilité et le sens du sacrifice qui le poussent à se
mettre en danger pour passer du temps avec le fantôme de Jun, son fils de huit
ans, qui vagabonde dans la no-go zone depuis le tsunami.
En effet,
le sujet prend place sur les lieux de la catastrophe de Fukushima et tous les
personnages sont des habitants des sites touchés par les radiations de la
centrale détruite à la suite du Tsunami. Le Japon, des acteurs japonais et la
langue japonaise sont donc les composantes essentielles à la réussite d’un tel
projet.
Le salon
d’une vieille maison délabrée. Le sol est recouvert de meubles cassés, de boue
et de détritus, qui composent un décor assez triste et sinistré. Dans
l’appartement du père, une seule lumière est allumée. Autour d’elle, tout est
dans l’obscurité.
Entre
réalité et fantastique, entre rêve et cauchemar, ce film est à la frontière
entre deux mondes. Celui de l’avant et de l’après tsunami, celui de la vie et de
la mort. Même s’il s’agit d’une fiction au caractère fantastique, cette
narration est ancrée dans un contexte réaliste.
Visuellement,
la no-go zone propose un monde tristement cinématographique et poétique. Dans
ce décor surréaliste on trouve tous les objets du quotidien presque intacts
mais abandonnés. Le temps est comme arrêté, et cette histoire peut sembler se
passer au cœur d’un rêve. Un rêve et non un cauchemar, car les personnages sont
plongés au cœur d’un drame effroyable mais l’acceptent avec sagesse ou
fatalité. Malgré le thème de la mort, il y a aussi le thème du retour à la vie,
par exemple à travers la rencontre avec une autre femme.
Mis à
part certains moments dramatiques, la bande musicale originale accentuera la
tonalité optimiste du film. Elle consiste en une musique orchestrale assez
minimaliste, avec une mélodie simple et discrète. Sans tomber dans le mélo, la
musique amplifiera l’émotion des personnages et celle du spectateur.
D’après
moi, ce film est magnifique. Il nous montre un sujet très important, fort et
touchant. On est plongé dans une réalité dure nous laissant toutefois un éclair
d’espoir à travers l’art du cinéma.
Chiara
*****
HOMESICK, ENTRE JAPON ET ILLUSION.
Après la catastrophe de Fukushima,
un père traverse les débris nucléaires pour retrouver son
fils.
Le Japon des
lanternes, le Japon de mère nature, le Japon du silence ou bien encore des
pâtes instantanées…
C’est dans une
fiction attendrissante que le réalisateur français Koya Kamura signe son
premier court métrage, et offre ainsi un portrait conté de la tragédie de
Fukushima.
Dans des paysages
nippons aux couleurs du printemps, l’ancien publicitaire nous raconte à sa
façon le deuil d’un père qui a perdu son fils Jun lors de la tragédie de 2011.
A travers le père, Murai, le jeune Kamura dresse une thérapie du deuil en fiction.
Il aborde dépendance, rêve, dépression, suicide… tout en gardant ce format
d’histoire, presque de légende, marquée par un double regard : celui du père
incapable de toucher son fils après l’accident, et celui du fils encore naïf et
joueur, inconscient de la tragédie qu’il représente.
Avec une première
scène dans une ambiance de thriller/fiction faisant penser à Alien, on se rend vite compte que la
combinaison blanche est trompeuse. Un petit garçon apparaît comme d’entre les
morts et nous remet les pieds sur terre. Mais pas pour longtemps. Effectivement,
sans trop le savoir, Homesick nous
transporte dans un univers de poésie et de tableaux, avec une réalisation qui
prend son temps et caresse la nature et les paysages d’Asie, ce qui rappelle un
cinéma d’avant plus simple que celui d’aujourd’hui, où l’acteur partageait le
rôle principal avec la nature.
Pourtant, Koya Kamura
représente un univers moderne et récent avec des scènes montrant soit des
barrières, soit un village, ou encore une voiture ou un coup de téléphone. La
qualité de l’image témoigne des progrès technologiques avec des plans nets,
combinés à des scènes nettes, qui contrastent avec une histoire pas si nette.
On se rappellera des
scènes avec une voiture traversant un paysage rural, sorte d’espace naturel non
encore habité.
Comme aux premiers
amours, Murai fait la rencontre de Mme Kimura, sa voisine divorcée qu’il
n’avait pas encore aperçue. Il doit alors décider entre vivre dans le présent
ou dans le passé, passé auquel il se raccroche par des coups de fils sans
réponse à son ancienne femme. Débute une romance compliquée mais réaliste, avec
des personnages qui communiquent dans un face à face équilibré et où le silence
et les mots elliptiques et maladroits - ou bien choisis - renversent les codes
des films à l’eau de rose classiques.
Le scénario du court
métrage s'accorde avec l’aspect dramatique de la réalisation. On y voit des
paysages d’un Fukushima dévasté, avec des épaves de bateaux qui ne font qu’un
avec le vert des champs, tantôt expliqués par un regard jeté à un fils défunt,
dans un cimetière lui aussi, fondu dans la verdure.
Les acteurs très
attachants donnent au court métrage une touche de dessin animé, de douceur
enfantine, avec un jeune Shota Ikoma dans le rôle du fils qui apprend à jouer
au baseball avec un père, personnage principal, incarné par Tasuku Nagaoka.
Kamura se plaît à
prendre son temps, à nous faire découvrir pas à pas l’histoire, comme un puzzle
déplié sur une table, comme si nous pouvions lire à travers les lignes d’une
nouvelle de Maupassant. Il pousse à son paroxysme la cinéphilie et offre pour
seuls indices des plans qu’il faut laisser nous bercer.
Des lanternes sur un
lac, c’est peut être cette fin qui représente le mieux ce court métrage: une
histoire simple, profonde, qui se veut éphémère mais qui reste éternelle aux
yeux du spectateur.
Cette fiction
dramatique et psychologique annonce un nouvel artiste qui sait mettre l’eau à
la bouche.
Magdalena
*****
Le drame du deuil
Homesick est un court métrage touchant
et émouvant de Koya Kamura, racontant l’histoire de Murai, un homme bravant le
danger et arpentant la no-go zone deux ans après la catastrophe de Fukushima,
afin de passer plus de temps avec Jun, son fils de huit ans.
Dans
son court métrage, Koya Kamura réussit avec brio à exprimer l’émotion et les
sensations qu’on pourrait éprouver, en allant dans la zone, un endroit
totalement laissé à l’abandon après la catastrophe, avec des maisons à moitié
en ruines, délaissées par leurs habitants. On peut aussi voir une nature qui
reprend ses droits et envahit entièrement les lieux aménagés autrefois par
l’homme, donnant de sublimes plans, à l’ambiance paisible, comme ceux tournés
près du manège.
Quand
la caméra s’élève au-dessus du parking, montrant peu à peu des centaines de
petites habitations identiques les unes aux autres, le réalisateur arrive à
montrer la détresse de ces gens qui ont perdu leur logement, leur famille, et
qui sont contraints de vivre dans un confort minimal, qu’ils espèrent
provisoire.
Murai
est un personnage émouvant qu’on va suivre peu à peu, au fil du court métrage,
dans son processus de deuil. Le spectateur, qui peut également voir Jun, va
s’attacher à cette relation père-fils, même si elle n’est en réalité plus
existante, puisqu’on comprendra que malheureusement Jun est mort, probablement
durant la catastrophe.
Un
spectateur qui se retrouvera au bord des larmes lors d’une scène d’adieu plus
qu’émouvante, dans un décor enchanteur et féérique baigné par la lueur des
lanternes.
Murai
a enfin laissé le passé derrière lui et va pouvoir aller de l’avant, peut-être
avec l’aide de sa gentille voisine qui est pratiquement son seul lien avec le
monde réel depuis le début de l’histoire.
Manon
*****
Homesick, un drame humain
Première
œuvre de fiction du réalisateur franco-japonais Koya Kamura, le court métrage
de 27 minutes immortalise un drame onirique expressément captivant. L’émouvant
récit traite de questions comme le deuil et les relations humaines, avec pour
toile de fond un monde dévasté.
Murai
est un collecteur. Deux ans après la catastrophe de Fukushima, il explore la
zone irradiée, cherchant les souvenirs qu’on lui demande de retrouver. Lui, par
la même occasion, passe du temps avec son fils Jun, laissé seul dans la no-go
zone. Le couple qu’il formait avec la mère de Jun ayant explosé, Murai
s’enferme dans une situation sinistre, et en devient aussi fantomatique que son
fils.
Ce
film se construit autour de ce rapport particulier avec la mort au Japon. Une
harmonie entre absence et souvenir y règne. Homesick
est un film cohérent, intelligent, un film humain. Kamura y exprime des
émotions simples et pures. Dans cette zone interdite est renfermée une nature
verte et luxuriante. Synonyme d’une richesse intérieure, elle nous rappelle
Murai, brisé, dont l’espoir renaît après la rencontre avec une femme. Ses
voyages dans la zone interdite sont des voyages fantasmés, rêvés. Puis le
compteur Geiger sonne, le réveille, ramène Murai à la réalité, l’éloigne de son
fils une fois de plus.
Le
rythme du film est lent, calme. La musique, la lumière, maintiennent un
équilibre tout au long de l’œuvre. On peut souligner le rapprochement de Murai
avec Mme Kimura, qu’il a accepté d’emmener dans la zone. D’abord filmés en
champ-contrechamp, les personnages se retrouvent tous deux dans le même plan
lors du retour au village.
Les
visuels du court métrage rejoignent ceux de Miyazaki d’une certaine manière.
Ils sont à la fois esthétiques et très poétiques, comme par exemple lors de la
scène des lanternes, symboles du deuil, qui s’éloignent de la famille…
Koya
Kamura confie dans une interview qu’il est lui-même père d’un fils. Il projette
dans son film sa plus grande peur : la perte de son enfant. Homesick, c’est la naïveté d’un père
abattu, l’évolution d’une relation fondée sur le déni. Un magnifique court
métrage poussant à une réflexion sur notre condition, démontrant que rien n’est
éternel.
Gabriel
*****
Homesick, mystère et interprétation
Ce
court métrage n’est pas a priori le genre de film que j’aime regarder, et
pourtant, il contient des choses que j’ai beaucoup aimées. D’abord, je ne sais
pas si c’est à cause du format du court métrage, mais le réalisateur nous
montre des choses sans les développer. Alors notre imagination travaille. Par
exemple, on ne connaît pas la nature du fils, on ne sait pas s’il s’agit d’un
fantôme, ou s’il est le produit de l’imagination de son père. Libre à nous de
décider selon nos préférences. Il y a aussi des plans un peu longs sur la
nature, mais bien dosés. Bon film.
Simon D.
*****
Le deuil en poésie
Dans son court métrage Homesick, Koya Kamura a réussi à traiter
un sujet dramatique (celui du deuil d’un père après la mort de son fils) avec
subtilité et poésie. En effet, cette zone irradiée et désertée, qui au premier
abord pourrait paraître effrayante et synonyme de désolation, se transforme en un
endroit calme et paisible où règne comme un sentiment de paix.
A travers des plans magnifiques, une musique poétique et
une complicité touchante entre un père et son fils, le réalisateur traite de
manière originale le thème du fantôme et du surnaturel. La scène des lanternes
qui sert d’hommage aux personnes disparues est marquante et particulièrement
réussie du point de vue formel. Elle exprime un sentiment d’espoir face à la
mort. Le réalisateur parvient à rendre perceptible le monde des morts et le fait
que le personnage principal oscille entre ce monde et celui des vivants met en
évidence cette perception.
Le jeu très touchant des deux
acteurs principaux (le père et son fils) est à noter. La grande part faite au
silence, associée à la beauté des plans, intensifie encore la sensation de paix
et fait de ce film une œuvre singulière et d’une grande beauté.
Angèle
*****
- HOMESICK -
Après
la pluie, le beau temps
Il manquerait sûrement
des mots à quiconque tenterait de décrire l'ambiance si particulière de Homesick,
court métrage
sorti en 2018 et réalisé par Koya Kamura.
Dès les premières
secondes, l'apparition fantomatique d'une maison en décomposition marque la
rétine du spectateur par son atmosphère sombre et mystérieuse. Un travail sur
les accessoires est immédiatement remarqué. Chaque recoin de la pièce est
méticuleusement organisé et rien n'est laissé au hasard. Tout est là pour
rendre crédible la situation à laquelle
le personnage et les spectateurs doivent faire face durant les années suivant
une catastrophe nucléaire, un monde dystopique dans lequel le COVID-19
passerait pour une vilaine grippe. Ce sujet, bien que délicat, est
admirablement traité et se traduit par un conte poétique toujours paisible,
même dans ses instants les plus durs.
Homesick, par plusieurs aspects,
évoque la mort, le deuil et le retour à la vie. S'il faut attendre la fin du
court métrage
pour avoir les réponses à plusieurs questions, le sujet est bel et bien traité
durant tout le film. Le personnage principal est un homme profondément seul,
depuis peu célibataire et dont la seul famille, son fils, est contaminé et vit
dans une zone évacuée. Murai se voit donc passer son temps entre son minuscule
appartement parmi tant d'autres et la
zone déserte qu'occupe son fils, zone dans laquelle ils passent le plus clair
de leur temps à chercher une balle de base-ball perdue. Que ce soit dans les
zones vides où Murai est majoritairement filmé seul ou dans ce qui s'apparente
à un milieu urbain, la solitude du personnage est exprimée continuellement.
Lors d'une de ses deux seules
interactions avec un personnage annexe, Murai est isolé, que ce soit en le
cadrant séparément de sa passagère en voiture (ce qui est quand même compliqué)
ou en l'apercevant flou en arrière-plan lorsque cette dernière se recueille sur
la tombe de sa mère.
Il est également notable
que la Mort est au centre du récit. Spoil oblige, un twist apprend au
spectateur que le fils de Murai est mort et que c'est son souvenir auquel son
père se raccrochait dans l'espoir de le retrouver, ou par peur de l'oublier.
Paradoxalement, la plus belle scène du film est sans doute celle durant laquelle
se déroule un rituel funéraire. Toutes ces lanternes oranges qui
flottent et se reflètent dans l’eau représentent
chacune une personne disparue : et c'est aussi un thème du film, les choses
qui disparaissent. Murai vit dans le passé, de par sa relation
fantasmagorique avec son fils disparu, mais aussi à
travers des
détails : son réflexe d'utiliser un clignotant dont l'utilité est depuis
longtemps désuète ou bien les messages qu'il laisse sur le répondeur de sa
femme disparue de sa vie.
Son métier est également significatif : appelé Collecteur, il erre dans
la zone contaminée, de maison en maison, afin de récupérer
des objets appartenant aux familles souhaitant conserver des
souvenirs de leurs proches.
Il vit physiquement dans le passé.
Tout cela montre que le
personnage refuse d'avancer, et ce,
jusqu'à un certain point. La mort et le souvenir laissent place au deuil et au
retour à la vie. A leur retour du cimetière, Murai et sa passagère ne sont plus
filmés séparément. Les plans serrés se transforment en un plan-séquence qui
englobe les deux personnages et qui sonne comme une bouffée d'air frais. Le
dernier plan et tout autant libérateur : le père et son fils sont assis au bord
d'une rivière de la zone contaminée. Après qu'il ait enlevé sa combinaison de
protection, Murai s'assoit et prend son fils sur les genoux. L'homme étant
filmé de dos, le spectateur voit l'enfant disparaître dans la silhouette de son
père. Murai a accepté la réalité, a enfin arrêté d'être homesick,
d'avoir le mal du pays, ou plutôt celui
de sa vie d'avant ; et bien qu'il se retrouve seul, assis devant nous, il n'est
plus seul pour la première fois depuis longtemps.
Simon H. C.
*****
Homesick, un court métrage émouvant, placé sous
le signe du renouveau
Homesick, de Koya Kamura, est impressionnant,
aussi bien en termes d'écriture que sur le plan de la réalisation. Sorti en
2019, il est le premier court métrage du réalisateur et scénariste
franco-japonais et remporte le prix du meilleur réalisateur et le grand prix du
festival Hollyshorts d'Hollywood la même année.
Homesick est un court métrage poétique et subtil,
que tout le monde saurait apprécier. L'histoire, prenante, s'inspirant de la
catastrophe de Fukushima au Japon, nous présente Murai, incarné par Tasuku
Nagaoka, un homme meurtri incapable de faire le deuil de son fils. Le film peut
tous nous toucher car il évoque la relation du père et de son fils, Jun, joué
par Shota Ikoma, qui est au cœur de l'intrigue du film. Le fait que le père se
mette en danger pour retrouver son fils, ou du moins les souvenirs qu'il a de
lui est touchant, et leur complicité est palpable grâce au jeu très crédible
des acteurs. Le réalisateur nous montre Fukushima comme un désert, mais avec
des plans pleins de verdure, qui renforcent le naturel et la pureté de la
relation du père et de son fils associés à une musique d'orchestre classique.
La force du film est d'ailleurs également basée sur la photographie. Les plans
travaillés, émouvants sans jamais être sordides, donnent une certaine légèreté
au film, bien que ce dernier se situe peu de temps après la catastrophe
nucléaire, et démontrent un choix particulier de Kamura à ne pas exagérer
l'aspect tragique de la situation. L'histoire est belle, elle n'est pas
uniquement dramatique, car le personnage de Murai réussit à se détacher du
fantôme de son fils et de son ex-femme, notamment grâce à sa voisine et à la
rencontre de Mme Kimura qui lui donnent les clés pour aller de l'avant. Un
aspect remarquable du film est que le mystère plane sur le fils, Jun, tout au
long du film. Bien que l'on se doute que quelque chose ne tourne pas rond, on
ne sait jamais exactement quoi. Ce mystère pousse souvent le spectateur à
réfléchir et se poser des questions.
Homesick est donc le court-métrage à voir
absolument si vous souhaiter passer un bon moment. C'est un film complet,
touchant et agréable qui correspond à un large public. Invitez-donc vos enfants
à le regarder avec vous !
Matisse
*****
Le mirage de Jun
Ce court métrage raconte l'histoire d'un homme en combinaison de sécurité qui va dans la zone irradiée de Fukushima. Il cherche des objets laissés sur place et les rapporte à leurs propriétaires qui veulent récupérer des souvenirs. Ces gens sont logés dans des camps de réfugiés, à plusieurs kilomètres de la zone interdite. Lors de ses passages dans la ville abandonnée, il est accompagné d'un mystérieux petit garçon qu'il semble bien connaître, mais qui, lui, ne porte aucune combinaison de protection...
En moins d'une demi-heure, le réalisateur japonais veut nous faire ressentir profondément le drame vécu par son pays avec la catastrophe de Fukushima. Pour ce faire, il commence avec une scène bizarre où un homme en combinaison de sécurité fouille une vieille maison abandonnée. Lorsqu'il sort de la maison, on comprend qu'il se trouve dans une ville dévastée et vidée de ses habitants.
On comprendra aussi plus tard que le petit garçon qu'il retrouve dans cette ville est son fils, ou plutôt, soit le fantôme de son fils, soit un rêve, car son fils est mort dans la catastrophe. Cette manière de nous faire approcher ce terrible deuil du fils par cet homme est très émouvante. On y sent la pudeur traditionnelle de la culture japonaise vis-à-vis des sentiments.
La dimension esthétique est par ailleurs essentielle pour le réalisateur. Les plans, notamment sur les paysages, sont très beaux. La scène dans un parc d'attraction abandonné est visuellement dramatique, car elle évoque le séisme meurtrier, dévastateur. La grande roue abîmée et le vieux manège apportent une beauté toute simple, mais très touchante. De même, la dernière scène - celle des lanternes -, qui est ma préférée, est très forte. En effet, on y voit le contraste entre les lanternes éclairées et le lac bleu foncé dans la nuit. Les lanternes éclairent le paysage, et d'une certaine manière, réchauffent le coeur de Murai et celui du spectateur.
Les plans sont parfois très sombres, ce qui donne un côté sinistre. Ainsi, on peut s'identifier au père, puisqu'il est horriblement difficile de faire le deuil d'une personne qui nous est très chère. Alors on essaie de se rattacher à quelques bribes de souvenirs de cette personne. En l'occurrence, les souvenirs, pour Murai, sont représentés par le fantôme de son fils. Il y a cependant des plans colorés, notamment avec la végétation tropicale du Japon que l'on voit parfois quand Murai est sur la route.
Je trouve très émouvant le fait que Murai, le père, éprouve toutes ces difficultés à faire le deuil de son fils Jun. Ainsi, il aperçoit ou bien il imagine (le réalisateur laisse les deux options possibles) le fantôme de son fils, et il lui parle.
La tristesse du père se traduit aussi par le fait qu'il se néglige. En effet, il se nourrit mal, uniquement avec des conserves. A la fin, cependant, un espoir semble apparaître avec la rencontre d'une jeune voisine, elle-même veuve. Ils semblent tous les deux vouloir se connaître davantage...
Victoria
*****
Sur le film et son tournage, voir la page du CNC :
« Homesick » : un tournage au Japon en « no-go zone » | CNC
Le film est encore visible pour quelques jours (jusqu'au 11 mai) sur le site d'Arte :