lundi 14 décembre 2015

Un classique recommandé par Solène pour se faire du bien...

Voir ou revoir L’impossible Monsieur Bébé d'Howard Hawks






Et si nous revenions à un temps où le cinéma américain ne pouvait pas montrer grand chose ? Il ne le pouvait pas, mais les réalisateurs ne se privaient pas de glisser quelques indices au spectateur, qui devait alors faire le travail d’interprète. Bon, si vous n’aimez pas l’analyse, ça n’est pas pour vous (quoiqu’il n’y ait pas besoin de faire ce « travail » pour apprécier ce film), mais croyez-moi, ça vaut le coup d’essayer ! En effet, en ce temps où les films possédaient une face cachée au moins aussi importante que leur fonction de divertissement, chaque élément du film était là pour signifier quelque chose. Et c’est de L’Impossible Monsieur Bébé que je voudrais vous parler. C’est un film qui date de 1938, une perle dans laquelle Howard Hawks réunit Carry Grant et Katharine Hepburn. Carry Grant incarne David, un paléontologue un brin trop sérieux qui rencontre Susan, une riche héritière un brin trop folle.

Ce film s’inscrit dans le sous genre de la Screwball Comedy, une comédie, donc, complètement loufoque, dans laquelle des objets incongrus ont une importance primordiale. C’est ainsi que ces deux personnages antagonistes devront s’unir pour retrouver un os de brontosaure disparu et un léopard fugitif, le tout donnant, évidemment, un résultat explosif. Alors, devant votre écran, quel qu’il soit, asseyez-vous bien confortablement et prenez bien votre souffle : le film démarre à fond, et la cadence ne cesse d’accélérer du début à la fin, l’hystérie d’un personnage se propageant tout autour de lui, et gagnant même le spectateur. Le moteur de cette folie ? Katharine Hepburn, dans toute sa splendeur, qui incarne une femme tour à tour gosse de riche capricieuse et femme-enfant vulnérable, aussi calculatrice que spontanée. Elle n’écoute personne d’autre qu’elle-même mais est incapable de rester seule. Elle peut, durant la même scène, se déchaîner telle une tornade ou fondre en larmes comme une petite fille. Elle renverse tout sur son passage, jusqu’à l’ordre établi. Il y a, par exemple, une scène mythique qui montre Carry Grant en robe de chambre rose s’exclamant qu’il est tout à coup très gai, et elle en pantalon, qui veut le séduire. Mais il n’y a pas que ça pour faire la grandeur d’un tel film… On n’oubliera pas les années 30 et le fameux code Hays ! On connaît tous la prohibition qui a donné naissance à une certaine mafia aux Etats-Unis (et par la suite de très bons films). Cette prohibition s’étalait jusque sur les écrans : refus de la violence explicite et exigence de pudeur ! Voilà tout le dilemme des films d’Hollywood des années 20 à la fin des années 60 (assassinat de Kennedy et guerre du Viêt-Nam obligent) : comment faire passer la violence et la sexualité entre les mailles de la censure ? Howard Hawks a une certaine idée sur la question. Bon, je vous en donne un exemple, un peu difficile à trouver : contrainte de mentir à sa respectable tante sur l'identité de David, Susan invente dans la précipitation un pseudonyme à ce dernier. Elle fait le choix de Mr. Bone. Evidemment, c’est en rapport avec le fait que David soit à la recherche de ce fameux os de brontosaure. Mais ce dont nous, petits francophones, ne nous doutons pas, c’est qu’en anglais to have a boner possède une toute autre signification (sexuelle, comme vous pouvez vous en douter) ! Je vous propose de regarder par vous-mêmes la traduction, puis de commander pour Noël ce chef d’œuvre du 7ème art, et de partir à la recherche des indices laissés çà et là par le réalisateur pour suggérer certaines choses inconvenantes. Un coup de blues ? Voilà la solution, fous rires et surprises assurées ! Si vous n’avez pas compris grand chose aux explications que je viens de donner, c’est normal, c’est un film farfelu et il est difficile d’en faire le résumé. Il n’y a qu’une issue : voyez-le, admirez-le, chercher l’implicite, faites-vous en une idée et parlez-en avec ceux qui le connaissent, vous ne pourrez que faire des heureux !

Solène Colin, 1ère L



jeudi 3 décembre 2015

Critique : Le fils de Saul de László Nemes, par Solène Colin






        On s’assoit. L’obscurité remplit la salle. Le film commence. Un format carré, une profondeur de champ plus que courte : on ne perçoit que du vert et le chant de quelques oiseaux. Un homme, au loin, s’approche. Sa silhouette ne devient nette que lorsqu’il arrive tout près de nous, et il occupe alors la quasi-totalité du cadre. Tout à coup, c'est le chaos total : l'arrière-plan devient une foule, le chant des oiseaux devient cris et pleurs. Mais la caméra, elle, ne bouge pas, restant fixe sur le personnage. Voici un aperçu du plan-séquence d'ouverture du Fils de Saul, qui raconte sans la montrer la mise à mort d'un convoi de déportés dans une chambre à gaz. Les mouvements de caméra, l'absence de profondeur de champ et les déplacements des acteurs minutieusement travaillés annoncent la forme de l'ensemble du film. Et dix minutes plus tard, alors que le son emplit la salle et que chaque spectateur retient son souffle, une question se pose : suis-je capable de tenir encore une heure et demie ?
        Et l’on reste. Pour le meilleur, mais surtout pour le pire.
   Pendant une heure quarante-sept, on suit le membre d'un Sonderkommando d’Auschwitz, Saul Ausländer, qui, pensant reconnaître son fils parmi les victimes, va tout faire pour lui offrir une sépulture selon les règles.
       La faible profondeur de champ et des plans très serrés sur le visage de Saul, ainsi que des plans subjectifs qui nous livrent son point de vue, nous font subir une véritable immersion dans le camp, à la fois visuelle et sonore. Cependant, à aucun moment nous ne voyons l’arrière-plan, le milieu, le camp. On sent que László Nemes connaît les enjeux des représentations de l’irreprésentable. C’est par l’usage du flou qu’il échappe à l’alternative montrer/cacher : ce qu'il ne montre pas, nous le percevons néanmoins, sans pour autant pouvoir l’observer. Qu’on n’aille surtout pas croire que la violence n’est pas présente ou larvée, non, elle est partout. Ce film n’est pas beau, il est fort. On ne prend aucun plaisir à le voir, pourtant on ne regrette pas d’être venu, et de s’être assis au premier rang.
     Alors que les derniers survivants s’éteignent et, pour la plupart, emportent avec eux leurs témoignages sur les camps, Nemes inaugure une nouvelle manière de transmettre le passé aux générations futures. Une manière fictive, certes, mais fidèle. Et plutôt que de nous raconter, il nous fait sentir Auschwitz.
       Quant au personnage principal, ce Juif hongrois dont le nom est allemand et étranger à la fois (Ausländer), il est attachant. Pendant la totalité du film, on reste collé à lui, et ce qu’il ressent, Laszlo Nemes nous le fait ressentir aussi. Sa quête devient également la nôtre : trouver un brin d’humanité dans ce monde barbare, trouver un endroit pour respirer et se recueillir. La seule délivrance possible lui est apportée, selon nous, par la fin.


 Solène Colin, 1ère L