Bernie ou la folie selon Dupontel
Bernie
est un film d’Albert Dupontel sorti le 27 novembre 1996. Ce film nous raconte
l'histoire de Bernie Noël, un homme complètement marginal vis-à-vis du monde
qui l'entoure et décidant de quitter son orphelinat pour avoir des explications
sur les raisons de son abandon, abandon sur lequel il n'a eu jusqu'alors aucune
explication. Il remonte donc les pistes petit à petit jusqu'à finalement
retrouver son père, puis sa mère, mais tout ne se passe alors pas comme prévu.
La construction du film, pour commencer, est très intéressante, car le
personnage de Bernie et le spectateur sont en décalage : Bernie vit dans
son monde, un monde dans lequel ses parents sont absolument parfaits, surtout
son père, tandis que le spectateur découvre toutes les atrocités commises par
celui ci, dont un viol que Bernie ne verra pas, continuant donc d'imaginer son
père comme parfait. Le spectateur comprend alors que Bernie est très sûrement
un enfant issu d'une relation non consentie par sa mère, ce qui expliquerait
l'abandon de l'enfant, même si celui-ci est jeté aux ordures par le père et non
la mère. Du début à la fin, le spectateur n'aura jamais la même vision que
Bernie sur les événements, ce qui a tendance à créer une ambiance très malsaine
par moments qui ne plaira pas à tout le monde.
Le film n'est pour autant pas dénué de comique. Il arrive même très
souvent que le comportement de Bernie, complètement en décalage avec le monde,
donne lieu à des situations très ridicules et qui font mouche. Il se dégage
également du film une ambiance très "PUNK" qui se retrouve
particulièrement dans la musique du film, un choix assez logique voire un peu
attendu pour montrer le personnage le plus "borderline" possible,
mais qui arrive quand même à fonctionner la plupart du temps.
Bernie
est, dans sa globalité, plutôt bien réalisé, mais lorsque l'on est habitué au
cinéma d’Albert Dupontel plus récent avec des films comme 9 mois ferme, Adieu
les cons ou encore Au revoir là-haut, ce retour en arrière dans
l’œuvre peut donner l’impression d’une sacré chute, en dépit du charme du film
lié à son ambiance très années 90.
Ce film de Dupontel marque quand même un moment important de sa
carrière, un moment où son cinéma était plus "méchant", entouré de
personnages plus fous les uns que les autres, que ça soit Bernie et ses
parents, ou même les policiers à la fin du film dont un se dit que c'est une
bonne idée d'aller le voir. Les personnages se moquent de Bernie, car celui-ci
a probablement quelques retards mentaux, mais le film nous montre que les
autres personnages ne sont pas forcément mieux, principalement le père qui est
probablement un des personnages les plus atroces que j'aie pu voir dans le
cinéma français. Bernie est donc un film très "borderline"
typique de son époque, comme pouvait l'être C'est arrivé près de chez vous
en 1992.
Milo
Guilleux-Gaudin
*****
Bernie : quand le malsain devient comique
Bernie, sorti en 1996, est un film d'Albert Dupontel où il joue lui-même le
personnage principal, en quête d'identité. La thématique de la recherche
identitaire existe également dans d'autres de ses films (comme Au revoir
là-haut ou Adieu les cons). Cependant, celui-ci adopte un humour
assez particulier, avec des personnages dérangés et une atmosphère malsaine.
Comment ce mélange, aussi improbable soit-il, fonctionne-t-il plutôt bien ?
Tout d'abord, il est intéressant de souligner
la nature innocente qui se dégage du film, notamment de par son générique, avec
sa calligraphie enfantine et ses chants pour enfants, qui représentent bien le
personnage principal, Bernie. A pourtant plus de trente ans, Bernie est encore
un enfant. Son but principal est de retrouver ses parents, qu'il va idéaliser
tout le long du film, en quête d'affection. On remarque cependant que Bernie
est un rejeté de la société, il essaie pourtant tant bien que mal de s'y
adapter (appartement, famille, petite amie...) et n'y arrive à chaque fois qu'avec
l'aide de l'argent. Le film montre en partie la perversion de la société avec
la drogue, les médias, l'argent, la prostitution... et met en place un
contraste flagrant avec l'innocence de Bernie. Il ne se rend pas compte de la
médiocrité du monde qui l'entoure, il n'a aucune notion du bien et du mal et,
tout comme un enfant, il ne sait pas contrôler sa force, ce qui fait de lui un
personnage extrêmement violent. D'ailleurs la violence est omniprésente dans le
film, à tel point qu’elle n'est plus dérangeante pour le spectateur, et devient
même parfois drôle. Les acteurs jouant très bien leur rôle, les personnages
rendent le film très malaisant par leur folie et leur imprévisibilité. La
figure parentale n'est d'ailleurs pas du tout placée sur un piédestal, et nous
sommes presque déçus d'apprendre que les parents de Bernie sont des ordures,
ayant abandonné leur fils dans une poubelle. Ils ne font que simuler leur amour
pour Bernie pendant l'entièreté du film, sa mère ne se souvenant même plus de
son prénom au début.
Cette déception face à la figure parentale,
qui est pourtant censée être une source d'amour et de réconfort fiable, rend le
monde encore plus triste et "pourri". D'ailleurs, nous pouvons
remarquer que les lumières et couleurs du film sont en général assez fades, et
que des filtres verdâtres et jaunâtres y sont parfois ajoutés, ce qui accentue
le côté "sale" et maussade du film, de son monde et de ses
personnages. On en vient alors à avoir de la peine pour Bernie, mais
l'absurdité des personnages, de leur violence, dialogues et décisions nous
amène à un entre-deux entre le malsain et le drôle, voire à un mélange des
deux. Cependant, le personnage de Marion, joué par Claude Perron, est un
personnage très intéressant, puisque Marion est elle aussi marginalisée. Comme
les seules émotions qu’elle exprime au cours du film sont la colère et le
dégoût, on comprend facilement son addiction à la drogue qui constitue un moyen
pour elle d'échapper à la réalité, en attendant une sorte de miracle. Elle
représente une lueur d'espoir dans le film, car elle est le seul personnage
témoignant de l'affection à Bernie à la fin du film. Elle incarne une tendresse
absente jusqu’alors. On peut aussi citer une de ses répliques : "j'en ai
ras-le-bol du moche, du médiocre, du sordide". Marion est une porte de
sortie de ce monde triste et violent, pour Bernie et pour le spectateur. Elle
est la seule qui ne l'accepte pas.
Enfin, même si, pour moi, la dimension
malsaine l'a emporté sur le comique, j'ai trouvé le scénario très intéressant
et intelligent, avec des personnages qui sortent de l'ordinaire. N'ayant vu que
deux de ses films, je ne m'attendais pas à ce côté très décalé et cru, de la
part de Dupontel, ce qui m'a surprise. Je ne reverrai cependant pas le film car
je trouve l'ambiance un peu trop pesante pour moi, et je comprends donc que les
réactions du public aient pu être aussi mitigées à sa sortie.
ENFERMES DEHORS, un film réalisé par Albert Dupontel en 2006
INTÉRESSANT SUR PLUSIEURS POINTS
Le film nous raconte l'histoire d'un SDF nommé Roland
(joué par Albert Dupontel) qui se trouve être un peu zinzin et drogué. Une
nuit, il assiste au suicide d'un policier et récupère ses affaires pour aller
les donner à la police, mais il se fait recaler au commissariat et en sortant,
il remarque la cantine. Il s'empresse donc d'aller enfiler son uniforme de
policier et de se raser la tête, et arrive ainsi à rentrer et à manger à sa faim.
C’est alors qu’il entend l'histoire d'une mère, Marie (jouée par Claude
Perron), qui veut récupérer son enfant que ses beaux-parents gardent contre
son gré. Touché par l'histoire ainsi que par la beauté de cette femme, Roland
décide de l'aider. De plus, parce qu’il sent que cette tenue de policier lui
donne un certain pouvoir vis-à-vis des autres individus, il décide de la garder
et de donner, d'une certaine façon, « un coup de main » à la police
comme il le dit. Dès lors, son objectif est de retrouver un certain Duval qu’il
va confondre avec un homme d'affaires (joué par Nicolas Marié) et ce
quiproquo initial va amener plusieurs péripéties au cours du film.
Tout d'abord, j'ai apprécié le film et ce, pour plusieurs raisons. La première tient à l'histoire principale qui est le fil conducteur du film : il s’agit de retrouver Coquelicot, la fille de Marie détenue par ses beaux-parents, qui voient en elle une femme excentrique qui a joué dans des films « très naturistes ». Mais dans cette opposition entre elle et ses beaux-parents, c’est bien Marie qui passe pour la personne la plus saine, même si elle travaille dans un sex-shop, car elle souhaite juste passer du temps avec sa fille, alors que sa grand-mère est prête à tout pour la garder, y compris la mettre en danger en l’emmenant sur un toit.
De plus, j'apprécie la critique sociale qui est
vraiment évidente dans cette œuvre qui mêle des SDF, des policiers et de hauts
fonctionnaires, car même si cela n'est pas le cœur du film, c'est important.
Ainsi, certains SDF disent à Roland qu'ils ne font plus partie de cette société,
ou que le maire ne veut pas qu'ils aillent en ville, ou même, d'une façon plus
comique encore, tous les SDF se retrouvent dans la chambre du grand directeur
et celui-ci est à deux doigts de faire une crise cardiaque. De plus on retrouve,
comme dans Adieu les cons et d’autres films d’Albert Dupontel, une
critique de la police, comme lors de l’arrivée au commissariat de Roland pour
la première fois, lorsqu’il se fait mettre dehors.
J’apprécie également le développement des personnages,
tout particulièrement celui de monsieur Duval, le grand PDG, car en l'espace d’une
journée, son caractère a complètement changé : tout d'abord montré comme
quelqu'un avec de l'assurance qui a réussi sa vie, puis paniqué lorsqu’il se
retrouve confronté au grand directeur. Après son enlèvement, cette sorte de
traumatisme qu'il a subi et cette confrontation avec les sans-abris, puis la
trahison de son frère, le changent complètement : désormais, il souhaite
juste faire le bien autour de lui et ne plus avoir de responsabilités. De même,
le personnage de Roland, présenté dès le tout début comme un personnage sans
réel objectif, dont on ignore tout, connaît un développement intéressant :
en enfilant ce costume de policier, il trouve un sens dans sa vie, rencontre aussi
l'amour et réussit, alors que jusqu’alors il n’avait fait qu’échouer, et c'est cette lueur d'espoir qui donne
une nouvelle direction à sa vie.
Ensuite, j'aimerais bien parler de la musique que je
trouve intéressante dans ce film, car elle permet de décupler les sentiments
provoqués à l'image : par exemple, quand un des personnages prend de la
drogue, la musique accélère jusqu’à ce qu'il vomisse ; de même, quand
Roland trouve un objectif, là encore la musique accélère. Mais pour moi, le
moment où la musique est parfaitement utilisée, c'est celui où Roland va à la
cantine, car le type de musique choisi fait très musique fantastique, telle qu’on
pourrait la trouver dans Alice au pays des Merveilles : en effet, pour
Roland, avoir accès à toute cette nourriture est quelque chose de fantastique.
Enfin, l'une des choses les plus importantes du film,
c'est la comédie, parce que c'est avant tout une comédie et je trouve ce film
plus drôle qu’Adieu les cons qu'on a vu récemment en classe. Ce serait
même une meilleure version qu’Adieu les cons, car le comique de
situation, très burlesque, est drôle, ainsi que le comique verbal, par exemple
quand Roland parle à un SDF qui se prénomme Youssouf, l’acteur Bouli Lanners
joue très bien la scène et les réactions de Roland sont d’autant plus drôles.
Pour conclure, Enfermés Dehors est un bon divertissement avec des messages forts et une histoire touchante qui sont les bienvenus.
Paul Esquerré
*****
Roland gentil flic
Dès
le tout début du film, Dupontel nous présente l’environnement qui l’intéresse,
celui de ses héros. Ainsi on rencontre Roland, SDF (interprété par Dupontel
lui-même). Il vit dans l’environnement le plus pauvre, le plus sale, le plus
bas matériellement (tout objet qui l’entoure semble cassé). On peut dire qu’il
vit dans une poubelle. L’image est empreinte d’une faible couleur vert-jaune. A
partir de l’évocation de la couleur de l’image, on comprend immédiatement que
Dupontel rejette tout réalisme. Cependant, cela ne l’empêche pas de représenter
à sa manière toute la misère dans laquelle vivent ses personnages, bien au
contraire. Les lettres du premier générique brillent comme si elles étaient des
ampoules, seulement elles ont du mal à briller, et elles ne font que s’éteindre
et se rallumer. En fait, ce sont des ampoules en fin de vie qui marchent très
mal. L’environnement bassement matériel des « pauvres » où tout est
cassé est évoqué rien qu’à travers les lettres du premier générique, au début du
film. De plus, ce film s’ouvre d’emblée avec de la musique. Sans que nous
soyons des spécialistes de musique, nous reconnaissons un thème plutôt rock, où
nous entendons surtout la batterie qui donne un ton brutal à la musique. Avec
ce thème « rock », que l’on va retrouver plusieurs fois tout au long
du film, on sent que le réalisateur cherche à rendre l’ambiance hardcore. Ah,
voici le mot qu’il nous fallait. Roland vit dans une telle pauvreté, qu’il
semble tout à fait cohérent de la part de Dupontel de vouloir rendre son
esthétique hardcore, pour illustrer toute la dureté de son milieu de vie. Je
dis bien esthétique hardcore, car cela ne se résume pas à l’utilisation de la
musique rock. On a parlé d’une couleur vert-jaune, fortement présente dans
l’image. Il s’agit là d’une couleur plutôt crade, dégueulasse, qui, je crois,
aura volontairement pour but de nous faire associer cette couleur à ce qu’il
peut y avoir d’immonde. Je parle des déchets, des ordures, de l’urine. La
couleur nous fait donc dire qu’ils vivent dans la pisse, et rien que cela nous
montre déjà leurs conditions de vie comme étant dures, voire hardcore. Si c’est
surtout ce vert-jaune qui domine dans ce début de film, on voit que Roland
porte une cagoule rouge (c’est un rouge assez vif), qui crée un contraste avec
la couleur dominante. Ce rouge va prendre plus d’importance dans la suite du
film. Qu’est-ce que cette couleur est supposée représenter sur la condition de
vie des « pauvres » ? Franchement, quand on voit le nombre de
fois où le personnage principal saigne et le nombre de fois où il mord, je
crois que l’on peut rattacher ce rouge à du sang. Cela ne fait que mettre plus
en avant encore la dureté du milieu de vie de Roland et ses camarades. Quand il
y a un contraste entre ces deux couleurs, on peut donc voir qu’en fait les
« pauvres » ne vivent pas que dans la pisse. Ils vivent dans la pisse
(la saleté) et dans le sang. Comment vivre dans des conditions plus
dures ? Il y a quelque chose d’assez malin dans cette réalisation qui est
que, sans avoir recours à des images explicites, Dupontel arrive tout de même à
nous donner cette impression d’hardcore. En matière de couleurs, lorsque nous
voyons les beaux-parents de Marie chez eux, avec leur petite fille, nous
retrouvons toujours un contraste entre du jaune et du rouge. Le jaune est
cependant plus doux, tend moins vers le vert, car, bien qu’appartenant à un
milieu plutôt modeste, ils sont évidemment dans une situation beaucoup plus
confortable que celle de Roland. On aurait donc recours à la couleur pour exprimer
un degré de pauvreté : un jaune-vert dégueulasse pour les sans-abris et un
jaune un peu plus doux pour les familles modestes, ces deux couleurs entrant en
contraste avec du rouge. Cela nous rappelle esthétiquement le Seul contre
tous (1999) de Gaspar Noé, où le physique du grand-père (Roland Bertin)
évoque justement celui du boucher (Philippe Nahon) dans le film que nous venons
de citer. L’influence de Noé dans l’esthétique de Dupontel ne fait que mettre
plus en évidence la volonté du réalisateur de créer une image hardcore. Cette
influence ne nous étonne guerre quand on sait que Dupontel a joué pour Noé dans
Irréversible (2002) et quand on sait que le directeur de la photographie
d’Enfermés dehors est Benoît Debie (il n’a certes pas collaboré à Seul
contre tous, mais la photographie qu’il utilise dans les autres films de
Noé s’en rapproche beaucoup). Pour donner cette impression d’hardcore, Dupontel
ne va pas seulement jouer sur l’image, mais aussi, en bon comédien, en plus de
bien travailler son jeu, va travailler son physique. Vers la fin du film, son
amoureuse Marie (interprétée par Claude Perron), ex-actrice porno, lui dit
qu’elle ne l’embrasse pas parce que ça lui rappelle son ancien métier. Avec son
crâne rasé et sa dentition pourrie, effrayante, qui comprend des dents
pointues, Dupontel adopte le physique d’un hardeur. Il ressemble à un acteur
porno qui a pu jouer dans les productions X françaises les plus hardcore des
années 2000. Si son personnage a un physique pornographique, il est alors naturel
que ce dernier tombe amoureux d’une ex-actrice porno. Je dirais qu’il y a dans
ce film toute une réflexion intéressante autour du cinéma X. Il ne s’agit
absolument pas de nous dire si c’est bien ou pas, mais de nous faire prendre
conscience qu’en fait les professionnels (ou même les amateurs) du X, un peu
comme les sans-abris, sont marginalisés par la société et les institutions.
Cette marginalisation est très bien montrée dans le film, puisque sont dans le
même camp les sans-abris et une femme représentative du milieu X (car n’étant
plus une hardeuse, elle reste en contact avec ce milieu en travaillant dans un
sex-shop où elle vend les films pornos les plus hards) qui ont en commun une
certaine haine à l’égard des institutions. Par son côté marginal, Dupontel
afficherait donc une certaine sympathie à l’égard du porno (comme son copain
Noé), ou plutôt à l’égard des gens qui en font. Cette sympathie montrée dans ce
film serait mêlée à une certaine douceur qui touche de près à l’amour. C’est
son amoureuse de l’époque qu’il transforme en ex-actrice X et en amoureuse
fictionnelle. De plus, privilégiant un espace géographiquement limité pour son
film, où l’on voit peu de personnages féminins, il impose Marie comme « la
plus belle fille du quartier ». Dupontel se place donc du côté des
marginaux, y compris des marginaux de l'industrie cinématographique que sont
les personnes qui travaillent dans le secteur du film X.
Le film comporte aussi une
dimension burlesque qui nous est montrée dès le tout début du film que nous
avons déjà évoqué. Roland, en plus d’avoir le visage d’un hardeur, possède
aussi celui d’un bouffon. Il saute sur un matelas, se projette de manière
exagérée contre un mur et ne meurt même pas. D’autres gestes, d’autres cascades,
toutes aussi périlleux et exagérés (on pense surtout à la scène où Roland tente
de suivre le vilain Duval-Riché) vont suivre tout au long du film. Roland va se
blesser dans certaines cascades, mais il reste indestructible. Son corps a une
certaine élasticité. En fait, il est un personnage de cartoon. Comme si
Dupontel voulait accentuer cette dimension burlesque (quand il travaille un
aspect, il essaye d’en faire le plus possible, comme nous l’avons vu avec
l’aspect hardcore), il a recours à des accélérés. Les choses que nous voyons en
accéléré sur certains plans (comme les voitures qui roulent) peuvent, dans un
sens, se compléter avec les gestes exagérés que nous retrouvons dans ce film.
On a fait un rapprochement avec le cartoon, mais il semble que Dupontel se soit
plus inspiré des maîtres (Chaplin et Keaton) pour sa dimension burlesque.
Malgré ses énormes cascades périlleuses qui nous rappellent l’acrobate Keaton,
son personnage et son univers semblent plus se rapprocher de celui de Charlot.
Roland est le héros maladroit de la (très grande) pauvreté comme a pu l’être
Charlot, il n’en est qu’une version moins douce, plus rock et plus hard. En bon
artiste, on voit que Dupontel s’est à la fois inspiré d’un maître qui
appartient cette fois-ci aux temps anciens (Chaplin) et d’un grand cinéaste
contemporain (Noé). Toute cette dimension burlesque ne fait que rendre la
situation plus absurde (c’est là le but principal de Dupontel). Absurde, au
point que l’on se demande s’il ne vaut mieux pas en rigoler. Quand Roland saute
sur un matelas au début du film, on le voit bien en train de rigoler (rire de
bouffon), alors que sa situation est déplorable. C’est le policier (sur le
corps duquel Roland va récupérer son uniforme) qui, juste avant de se suicider,
lâche son plus grand sourire. Il y a aussi certaines répliques, qui en plus de
souligner l’absurdité de la situation en elles-mêmes, nous font rire aussi
(tout le monde rigole, des personnages fictionnels aux spectateurs). Je pense à
la réplique qui m’a fait le plus rire. Lorsque Roland arrive dans la cantine
des policiers et qu’il voit qu’il a le choix entre de l’eau et de la bière, il
choisit la bière, seulement parce qu’il dit avoir bu de l’eau l’année
précédente. Je trouve cela à la fois triste et extrêmement drôle. L’absurdité
de ce film est renforcée par un aspect ridicule qui plane tout au long du film.
Mais on sent surtout le ridicule lorsque Dupontel donne un aspect de conte à
son film (après tout, il est bien écrit dans le film : « il était une
fois quelque part »). Ainsi, Cendrillon passe de servante à princesse
éblouissante avec sa robe bleue, tandis que prince Roland, enfilant son joli
petit uniforme bleu de flic, passe de sans-abri à policier. La classe. Il va
pouvoir rentrer dans le château qu’est le QG de la police. Il va y voir le plus
grand festin qu’il ait jamais vu (la nourriture que l’on retrouve
habituellement dans les cantines). Les aliments qu’il perçoit avec ses yeux
affamés dévoreurs, sont ici filmés comme les plus beaux aliments que l’on ait
vus. De plus, c’est aussi à ce moment-là que l’on entend une musique,
ridiculement enfantine, que l’on pourrait retrouver dans n’importe quelle
adaptation audiovisuelle (ou simplement audio) de conte pour enfants. Tout cela
nous semble bien ridicule. Il y a un autre passage très ridicule qui n’est pas
cette fois-ci tellement rattaché au conte. Il s’agit du moment où il aperçoit
en vrai, pour la première fois, Marie, et où il en tombe amoureux. Pour montrer
le fait qu’il tombe amoureux, Dupontel a recours à des travellings. Il y a un
premier travelling arrière sur un plan où l’on voit le visage de Roland (l’air
réjoui) qui regarde Marie. Ce travelling arrière nous montre que son regard se
porte sur Marie, et il manifeste déjà un premier intérêt. Cet intérêt se poursuit
sur le plan suivant où l’on voit Marie (du point de vue de Roland), et où il y
a un travelling avant sur elle. Travelling avant qui n’est que la continuité
logique du travelling arrière du plan précédent, qui montre que, sans
interruption, le regard de Roland continue à se porter intensément sur Marie.
De plus, le travelling avant donne une certaine intensité, comme pour montrer
que le sentiment amoureux progresse et devient plus fort chez Roland. On arrive
au plan suivant, et l’on retrouve le visage de Roland, encore plus heureux. Il
n’y a plus de travelling arrière, mais un travelling avant qui montre à quel
point regarder Marie lui fait de l’effet, comme si ça lui montait à la tête,
d’où la nécessité de rapprocher la caméra de son visage. Puis on revient au
plan sur Marie, toujours en travelling avant. La caméra continue à se
rapprocher au point qu’il y a seulement le visage de Marie dans le cadre (où
elle est de profil car elle ne regarde pas Roland). Le fait que la caméra se
soit rapprochée au point de seulement cadrer le visage de Marie illustre un
point final dans l’amour que porte Roland à Marie. Il en est tombé amoureux, en
l’espace de quelques secondes, au point d’atteindre sa propre limite. Il doit à
présent l’aimer passionnément. Malheureusement pour lui, cet amour n’est pas
réciproque, car comme nous l’avons dit, Marie ne le regarde pas. Ces
travellings sont un peu grossiers (c’est bien évidemment volontaire) et ce
passage est, de plus, accompagné par une musique d’amour tout aussi grossière, qui
sonne comme ridicule. Roland tombe amoureux d’une manière ridicule, comparable
à la manière dont Lloyd Christmas alias Jim Carrey, tombe amoureux de Mary
Swanson dans Dumb and Dumber (1994) de Peter Farelly. En bon comique,
Dupontel se moque gentiment de son personnage et le rend plus sympathique à nos
yeux. Toute cette absurdité et ce ridicule présents dans le film nous éloignent
de tout réalisme, mais en fin de compte, Dupontel nous dit que si la vie n’est
pas exactement comme dans ce film, la situation que nous connaissons
aujourd’hui dans notre monde (déplorable) est tout de même assez absurde.
Comme nous l’avons dit
précédemment, Dupontel privilégie pour son film un espace géographiquement
assez réduit. Dans cet espace assez réduit, les seuls bâtiments que nous voyons
ne sont que des bâtiments modernes. Les sans-abris, qui ne peuvent certainement
pas se loger dans ces bâtiments modernes, n’ont pas d’autre lieu où ils
pourraient potentiellement se loger, même si leur situation s’améliorait ne
serait-ce qu’un peu. Ils sont condamnés à vivre dans la rue. Autrement dit, ils
sont condamnés à rester « enfermés dehors ». Le film est drôle, mais
on retrouve tout de même un aspect dramatique, que l’on perçoit notamment à
travers ce paysage moderne. Dupontel reprend aussi la critique de cette
modernité dans son Adieu les cons.
Le film se termine sur un “FAIM”. C’est une manière amusante de nous dire que, même si la situation s’améliore un peu à la fin de son film, il serait ridicule de mettre « FIN », comme si le film se terminait sur une fin heureuse, et qu’à présent tout allait bien. Les personnages vivent toujours dans la misère, et il leur reste à faire pour sortir de la pauvreté. C’est aussi une manière de nous maintenir, nous, spectateurs, dans la réalité. Le réalisateur ne veut pas nous proposer un spectacle qui va seulement nous absorber pendant 1h30, et que l’on va « laisser de côté » une fois le mot « FIN » arrivé, pour retourner à nos occupations comme s’il ne s’était agi que d’un simple divertissement qui ne parle pas du monde qui nous entoure. Il veut nous dire que, à l’image de la situation de Roland qui reste misérable à la fin, il y a bien une misère qui nous entoure, qui n’est certainement pas finie, et que nous pouvons toujours essayer d’y remédier, malgré le fait que les choses se présentent très mal. En gros, il n’y a pas de « FIN », mais elle pourrait exister.
Le Vilain - Un film qui ne tient pas
toutes ses promesses
par Mona Tchepiega, Mai 2021
Dans la continuité d’Enfermés Dehors,
le quatrième film d’Albert Dupontel, le Vilain, est sorti en 2009. C’est
une comédie parodique et attachante qui raconte l’histoire d’un braqueur de
banque qui va trouver refuge chez sa mère, jouée par Catherine Frot. Celle-ci
se considère maudite pour avoir mis au monde ce vilain garçon, et a hâte de
trouver le salut et de monter au ciel. Maniette va alors tout mettre en œuvre
pour forcer son fils à réparer ses erreurs passées.
La mère poule est d’abord
ravie par le retour de son fils, mais en découvrant sa vraie nature, elle
initie un véritable duel entre eux, ce qui donne aux acteurs l’occasion de se
lancer pleinement dans des performances débordantes. Cependant, cet
affrontement a des ressorts très prévisibles, à force de coups bas et de pièges
tendus dans la maison. On arrive aussi à avoir des moments de solitude en
compagnie des deux personnages qui occupent tout l’espace au point où on se
désintéresse de leur relation.
On comprend d’ailleurs ce
qui motive la mère, mais on ignore pourquoi le fils surenchérit dans ce duel.
Des répétitions
embêtantes
Après un super pitch de
départ que Catherine Frot lance avec toute sa force de persuasion, l’intrigue
devient assez répétitive. Malgré certaines scènes très bien travaillées, le
début calme et logique du film est rapidement brouillé par des longueurs
(notamment la séquence du thé qui, si elle est, de fait, assez courte, n’en est
pas moins déstabilisante). Le scénario est décousu et la scène finale laisse
une sensation de fouillis parodique. Pour ce qui est de l’épilogue, on nage un
peu en pleine mièvrerie même s’il s’agit clairement d’une parodie des comédies
débordantes de bons sentiments.
De plus, on assiste à des
effets comiques un peu pesants et des running-gags qui deviennent longs. Ainsi,
les arrivées successives de personnages secondaires cassent le rythme au
détriment de l’intrigue.
Des personnages
centraux... au centre
Du côté des personnages, Catherine Frot est très bien mise en avant dans le
rôle d’une femme tendre et
perverse à la Tatie Danielle, tandis que le
personnage du fils, joué par Dupontel, malgré ses mimiques désinvoltes, ne semble
pas si vilain en soi. Sydney est bête et méchant oui, mais pas un criminel
diabolique pour autant. Dès que l’intrigue s’installe, on a de plus en plus de
mal à croire qu’il ne s’est pas assagi avec les années. Et malgré ses défauts
il n’est pas indifférent à la bonne volonté de sa mère. Les personnages
secondaires de l’inspecteur ou de l’Espagnole, eux, sont laissés de côté, ou
plutôt ils implosent dans scènes hilarantes d’absurdité, car amenées de manière
très précipitée. En effet, la galerie de seconds rôles est variée, mais tous ne
sont pas assez nourris.
Une ambiance et des
dialogues en accord
En se plaçant à mi-chemin
entre l’univers particulier d’Enfermés Dehors,
avec un humour bête et méchant, et les séquences malsaines de Bernie, le film installe une ambiance non
seulement cartoonesque par les gags, mais aussi candide qui correspond au
contexte de petit quartier de lotissement. En effet, Dupontel, qui s’attache
souvent à des personnages en marge de la société, met en scène ici des petits vieux
au rythme de vie lent. Ce mode de vie et cette atmosphère féerique sont
cependant chamboulés par l’arrivée du vilain fils Sydney. L’ambiance tourne à
un ton plus acide et des coups de feu se mettent même à résonner dans le
voisinage.
Dès le lancement de
l’intrigue, les dialogues sont excellents, de même que les scènes de comique de
situation. On assiste à des gags très Tex Avery avec la tortue Pénélope,
véritable alliée de la mère. Mais les éléments comiques se répètent un peu,
bien que les personnages ne manquent pas de ressources, car le film a un aspect
de théâtre de boulevard, avec des entrées et sorties de personnages comme au
théâtre. Par ailleurs, les tortues sautent à tout va, les horloges tombent et
il pleut des chats.
Un décor étouffant et étroit
Toutefois, l’immobilisme
causé par le quasi huis clos dans la maison devient rapidement étouffant. Les
personnages secondaires défilent mais ont du mal à s’affirmer, à l’exception
peut-être du médecin interprété par Nicolas Marié. Tout au long du film
l’accent a donc été mis sur l’aspect barré des personnages au
lieu de faire avancer l’intrigue.
La nostalgie d’un conte
Du reste, il y a une
nostalgie attachante dans les décors et les détails (par exemple la planque
dans la chambre d’enfant). La colorimétrie, les angles obliques et les plans
qui adoptent le point de vue de Pénélope la tortue évoquent Jeunet. Le grand
angle sert au comique de situation en déformant le visage des comédiens, tout
comme le slapstick (dans la course-poursuite entre le Vilain et ses
ex-complices notamment). La musique accompagne le spectateur avec justesse tout
au long du film, ajoutant un peu de suspens lorsque les quiproquos ou les
comiques de situations se mettent en place.
Il est vrai qu’une comédie est faite pour
être partagée. J’aurais été mieux à même d’apprécier les gags si j’avais été
entourée d’autres spectateurs avec qui rire. En effet, j’ai peu ri et je me
suis posée bien trop de questions. Alors vivement la réouverture prochaine des
cinémas !
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