On
s’assoit. L’obscurité remplit la salle. Le film commence. Un format carré, une
profondeur de champ plus que courte : on ne perçoit que du vert et le
chant de quelques oiseaux. Un homme, au loin, s’approche. Sa silhouette ne
devient nette que lorsqu’il arrive tout près de nous, et il occupe alors la
quasi-totalité du cadre. Tout à coup, c'est le chaos total : l'arrière-plan
devient une foule, le chant des oiseaux devient cris et pleurs. Mais la caméra,
elle, ne bouge pas, restant fixe sur le personnage. Voici un aperçu du plan-séquence
d'ouverture du Fils de Saul, qui raconte sans la montrer la mise à mort
d'un convoi de déportés dans une chambre à gaz. Les mouvements de caméra, l'absence
de profondeur de champ et les déplacements des acteurs minutieusement travaillés
annoncent la forme de l'ensemble du film. Et dix minutes plus tard, alors que
le son emplit la salle et que chaque spectateur retient son souffle, une
question se pose : suis-je capable de tenir encore une heure et demie ?
Et
l’on reste. Pour le meilleur, mais surtout pour le pire.
Pendant
une heure quarante-sept, on suit le membre d'un Sonderkommando d’Auschwitz,
Saul Ausländer, qui, pensant reconnaître son fils parmi les victimes, va tout
faire pour lui offrir une sépulture selon les règles.
La
faible profondeur de champ et des plans très serrés sur le visage de Saul,
ainsi que des plans subjectifs qui nous livrent son point de vue, nous font
subir une véritable immersion dans le camp, à la fois visuelle et sonore.
Cependant, à aucun moment nous ne voyons l’arrière-plan, le milieu, le camp. On
sent que László Nemes connaît les enjeux des représentations de
l’irreprésentable. C’est par l’usage du flou qu’il échappe à l’alternative
montrer/cacher : ce qu'il ne montre pas, nous le percevons néanmoins, sans
pour autant pouvoir l’observer. Qu’on n’aille surtout pas croire que la
violence n’est pas présente ou larvée, non, elle est partout. Ce film n’est pas
beau, il est fort. On ne prend aucun plaisir à le voir, pourtant on ne regrette
pas d’être venu, et de s’être assis au premier rang.
Alors
que les derniers survivants s’éteignent et, pour la plupart, emportent avec eux
leurs témoignages sur les camps, Nemes inaugure une nouvelle manière de
transmettre le passé aux générations futures. Une manière fictive, certes, mais
fidèle. Et plutôt que de nous raconter, il nous fait sentir Auschwitz.
Quant
au personnage principal, ce Juif hongrois dont le nom est allemand et étranger
à la fois (Ausländer), il est attachant. Pendant la totalité du film, on
reste collé à lui, et ce qu’il ressent, Laszlo Nemes nous le fait ressentir
aussi. Sa quête devient également la nôtre : trouver un brin d’humanité
dans ce monde barbare, trouver un endroit pour respirer et se recueillir. La
seule délivrance possible lui est apportée, selon nous, par la fin.
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