ADOLESCENTES (2020)
de Sébastien Lifshitz
En ce début
d’année je suis allé à l’Escurial, avec mon groupe de cinéma, voir le
documentaire de Sébastien Lifshitz Adolescentes, où ce dernier a filmé
pendant cinq ans de 2013 à 2018, deux adolescentes de la 4ème et la
terminale. Ce sont donc de jeunes femmes nées en l’an 2000. Il se trouve que je
fus assez surpris par la manière dont Lifshitz a réalisé son documentaire et dont
il a représenté et su mettre en scène des thématiques importantes ainsi que la
représentation de ces deux filles. Il y a donc de nombreuses choses à dire sur
ce film tant sur le fond que sur la forme. Cela m’a donné envie de les exprimer
par écrit à travers différents aspects.
Un documentaire très original
Vous voyez les
films de fiction qui se font passer pour des documentaires, afin de
renforcer le réalisme de l’histoire et
vous voyez les documentaires qui se font passer pour des fictions. Il se trouve
que pendant toute la séance, je croyais comme beaucoup de camarades que le film
se rangeait dans la deuxième catégorie. Je pensais que c’était comme le film de
Richard Linklater Boyhood sorti en
2014, une fiction où le réalisateur a filmé les mêmes acteurs pendant douze ans
entre 2001 et 2013, où l’on voit les mêmes enfants grandir. Et bien il se
trouve que non. J’ai découvert qu’il s’agissait bien, en fait, d’un documentaire
en lisant le générique. Les deux filles n’étaient pas des actrices, mais bel et
bien des personnes réelles. Ce fut frappant pour moi. Ce film se rangeait donc
dans la première catégorie, car
Lifshitz a employé un découpage qui me semblait être peu probable pour les
conversations qu’entretenaient les personnes, notamment les nombreuses disputes
entre Emma, l’une des adolescentes, et sa mère, car la plupart des conversations
étaient coupées et se présentaient donc à travers différents plans, à
différentes échelles. On pouvait retrouver les deux personnes sur le même cadre
en train de se disputer et soudain l’une des personnes commence à s’exprimer et finit ce qu’elle a à
dire sur un gros plan. C'est-à-dire quand l’on cadre seulement la tête de la
personne. On voit cela très rarement dans
un documentaire. Non seulement les gros plans sont plutôt propres à la fiction,
on a peu l’habitude de voir ça dans le documentaire et on a encore moins
l’habitude de voir une conversation découpée et qui alterne des plans
différents, éloignés/rapprochés, car généralement, on s’intéresse simplement aux
propos dans la plupart des documentaires.
C’est pour cela
qu’Adolescentes
va encore plus loin que les autres documentaires puisque le réalisateur lui
donne de véritables qualités artistiques : le film se présente
esthétiquement plus beau, à travers une mise en scène élaborée, bien travaillée.
Ce qui nous donne naturellement une impression de fiction. Nous voyons donc
bien qu’à travers la mise en scène et les différentes techniques artistiques
employées, Sébastien Lifshitz apporte une image de fiction, et donc une
grande originalité à ce film documentaire.
Mais en plus de la mise en scène frappante, il y a aussi l’intimité qui nous laisse dans le doute, car la manière dont on pénètre l’intimité de ces deux filles est incroyable lors des conversations et des nombreuses disputes qu’elles ont avec leurs parents. On peut se demander comment elles ont pu autant exposer leur vie privée face au réalisateur. Dans un premier temps, nous nous disons que c’est une fiction par la manière dont on touche à l’intimité. On trouve, dans un premier temps, que les comédiens ont livré un jeu extrêmement réaliste, comme le passage où Emma pleure après une dispute avec sa mère au sujet d’un examen de solfège qu’elle ne veut pas passer. On se dit que c’est un très bon jeu, mais non, il s’agit bel et bien de vraies émotions, surtout les conversations qu’elles ont autour de la sexualité que je vais détailler davantage dans les parties suivantes.
Tout paraît trop intime pour être réel d’où cette impression
de fiction. Mais pourtant, c’est bien le cas, et en le découvrant, c’est comme de
se prendre une véritable claque à la fin de la séance, et je réalise à quel
point ces deux adolescentes ont été courageuses d’autant exposer leur vie
privée. A leur place, je pense que j’aurais refusé, beaucoup auraient refusé.
Il y a aussi
d’autres éléments comme le fait que le logement d’Anaïs et de sa famille prenne
feu. Cela aurait pu simplement nous donner l’impression que c’était mis en scène
pour faire avancer le récit dans le film. Mais encore une fois c’était bien
réel.
Si j’ai abordé le film comme une fiction
qui se fait passer pour un documentaire, ce n’est pas pour rien. Si dans un
premier temps, le film donne une impression de fiction, il donne surtout celle
d’une fiction qui se fait passer pour un documentaire, d’où l’immense
originalité de ce documentaire. On doit pouvoir trouver d’autres documentaires qui
tentent de se faire passer pour un film de fiction.
C’est un
documentaire qui se fait passer pour une fiction qui essaierait de se faire
passer pour un documentaire. C’est pratiquement du jamais vu, car même si on a
l’impression qu’il s’agit d’une fiction à cause de la mise en scène, le
réalisateur aborde des thèmes importants d’une manière très simple et nature.
Le film n’est pas romancé, on ne cherche pas à dépasser le cadre réaliste, et ce, malgré une mise en scène digne d’une fiction. Le film n’est pas construit comme
tel. Si le film avait réellement été une fiction, on aurait pu parler d’un jeu
documentaire pour les comédiens tant il est réaliste. Mais ce n’est absolument pas le cas puisque ce ne sont pas des acteurs,
mais bien des personnes réelles. Ainsi la bonne caractérisation de ce film
serait pour moi un documentaire qui essaie de se faire passer pour un faux
documentaire. Je pense qu’en matière de documentaire, nous frôlons bien l’originalité.
Un film construit autour d’une opposition
Ainsi le film
présente Emma et Anaïs, deux adolescentes qui sont très proches l’une de
l’autre, de vraies meilleures amies. Pourtant elles ont beau être très proches,
elles sont très opposées.
Le film repose donc sur l’opposition
entre ces deux filles.
Lifshitz dresse des portraits qui tantôt vont
favoriser l’une et tantôt favoriser l’autre.
Tout d’abord,
ce qui favoriserait Anaïs par rapport à Emma, c'est qu'on découvre très rapidement
que dans le cadre de son statut populaire, Anaïs doit se débrouiller toute
seule. La difficulté de son milieu social renforce sa débrouillardise, et par conséquent
lui donne une certaine maturité, notamment parce qu’elle est entourée de
parents incapables de bien s’occuper de ses frères. Ce qui fait que la
responsabilité de ses frères, dont l’un en
plus est malade, repose sur elle. Elle devient en quelque sorte la maîtresse de
la maison et cela lui donne une certaine force. D’ailleurs, il est dramatique
de voir, qu’au moment de l’incendie du logement, elle se sent coupable parce
que, cette fois-ci, elle n’a pas surveillé son frère. C’est triste et ça montre
en même temps la maturité d’Anaïs.
Cela défavorise
Emma dans un sens, car le fait qu’elle soit fille unique et qu’elle vive dans un milieu assez confortable, ne lui
donne pas un rôle très important. C’est pour cela qu’elle nous paraît un peu
moins mature, notamment par son caractère dur et un peu insolent envers sa
mère (à noter que sa mère paraît assez pénible aussi par l’image hautaine
qu’elle donne, et par le fait qu’elle parle sans arrêt des études). Même si la
mère et la fille sont proches, on remarque une certaine distance affective. De
plus, Anaïs semble plus joyeuse et plus sociable, c’est d’ailleurs la première
des deux qui finit en couple, dès la 3ème, avec un garçon nommé Dimitri, tandis qu’Emma
paraît plus froide et discrète. Mais cela produit un certain charme.
D’autre part, le réalisateur tend vers une
idéalisation des jeunes femmes, ce qui, cette fois-ci, favorise Emma par
rapport à Anaïs, car il semble insister sur le physique de ces filles. Ainsi,
Emma est mince et belle, d’où une utilisation de plans rapprochés sur elle et
sur son visage. Sa beauté est donc mise
en avant.
Dès le début du
film, on voit qu’Emma est sensible à l’art, car elle chante dans un conservatoire.
C’est l’une des plus belles scènes de ce documentaire, car là on sent une
véritable grâce et une idéalisation de la beauté. Elle passe par le désir de
devenir actrice et elle finit par être acceptée dans une licence de cinéma à
Paris 8. Qui sait, on la retrouvera peut-être en train d’écrire des critiques
de films dans les Cahiers du Cinéma ? Sa beauté mise en avant, son grand rapport à
l’art, son passage vers les études générales, tendent à l’idéaliser.
L’idéalisation de la beauté renforce peut-être aussi cette impression de voir
une fiction.
Cependant, Anaïs
n’est pas tellement favorisée par son physique, elle n’a pas un très beau
visage et elle est assez ronde. Il y a même une conversation amusante à ce
sujet avec sa mère. Et le fait que malgré une certaine maturité, elle fait
parfois preuve d’immaturité au niveau de son comportement. On apprend que toute
petite, elle avait été mise en famille d’accueil parce qu’elle insultait sa
mère, mais cela est probablement dû à son milieu social défavorisé. Dans le
lycée professionnel où elle étudie, elle participe au bazar des cours, tandis
que dans le lycée général d’Emma, tout semble calme. Par son physique désavantageux
et cette immaturité, bien que ce soit la plus mature des deux, elle donne une
image de vulgarité, opposée à celle d’Emma. Comme nous avons pu le voir, le
réalisateur a quand même présenté les atouts et les carences de chacune des
deux adolescentes.
Le sexe
évidemment
Pour que le
film ait été aussi intime, le réalisateur a bien évidemment abordé la sexualité
de ces adolescentes. On se plonge vraiment dans l’intime. C’est ainsi qu’un
garçon ou un jeune adulte né dans les générations précédentes, en apprend sur
les filles et on peut en être fascinés. C’est assez amusant tout en étant
intéressant, car le réalisateur montre l’évolution de ces filles par rapport à
ce sujet. Ainsi au début, elles se demandent à quel âge il faut qu’elles le
fassent. Puis on avance et elles commencent à confier leur désir, en se demandant quel garçon serait le meilleur partenaire sexuel. A travers un plan qui est à
mon avis le plan le plus documentaire du film, car elles sont filmées de dos,
où Emma raconte à deux copines du lycée que ce serait pénible de coucher avec
l’un parce qu’il est imberbe ou l’autre parce qu’il est trop poilu. Je pense
qu’elles ont été filmées de dos, pour ne pas que l’on sache précisément qui a dit quoi
sur tel garçon (une petite pensée pour les garçons qui se sont reconnus dans
cette conversation). Puis vers la fin du film, Emma fait part de sa première relation
sexuelle, qui donne un aspect sociologique au film, que nous allons voir dans
les parties suivantes. Elle raconte l’expérience à sa copine de manière plutôt
timide et en même temps elle sait qu’elle est filmée pour un documentaire.
Un film qui explore
la psychologie des filles
En fait, cela concerne surtout Anaïs. A travers sa mise en scène, Lifshitz nous montre la psychologie d’Anaïs, de manière implicite. Il est déjà intéressant de noter qu’elle a le désir de s’occuper d’enfants quand elle sera plus grande. Elle suit une formation professionnelle pour ça, ce qui se rapporte bien au fait qu’elle s’occupe tout le temps de ses frères. A mon avis, le désir est né de ça. De plus, on la voit faire un stage professionnel dans une maison de retraite et à la fin la directrice lui demande si elle a apprécié, et elle dit qu’au début elle n’aurait jamais pensé vouloir s’occuper de vieilles personnes, mais que finalement elle adore ça. Et comme par hasard, cela se passe peu de temps après la mort de sa grand-mère. On voit donc implicitement la volonté de combler un vide de sa part, lié à la disparition de sa grand-mère. Le réalisateur arrive donc à montrer la psychologie d’Anaïs de manière simple, implicite, et par une bonne mise en scène.
Un film
sociologique et politique
Vers la fin du
documentaire, Emma raconte sa première relation sexuelle à une camarade du
lycée. Elle semble ne pas l’avoir tellement appréciée puisqu’elle précise qu’elle
n’aime pas qu’on la touche. Mais ce qui est le plus surprenant et le plus
dramatique, c’est qu’elle dit que même si elle n’a pas tellement apprécié, elle
est capable de se soumettre et de faire comme tout le monde. C’est ainsi que le
réalisateur met en avant un problème social lié au sexe. A travers ces propos inquiétants, on constate que les
filles, vers la fin de l’adolescence, n’ont peut être pas de relations
sexuelles parce qu’elles le désirent, mais parce qu’elles veulent suivre la
norme. Le portrait de cette fille devient encore plus intéressant, car il serait
en fait le portrait général de la plupart des jeunes femmes, surtout celles nées
au tout début des années 2000. Il y a aussi d’autres problèmes ou phénomènes
sociologiques qui sont mis en avant. On voit bien qu’Emma vit dans un milieu
confortable, élevée par une mère, contrôleuse fiscale, elle suit un parcours
scolaire général, afin de mener de longues études, plutôt intellectuelles pour avoir
à son tour un niveau de vie élevé.
A
l’inverse, Anaïs grandit dans un milieu
populaire avec des parents dont on devine facilement qu’ils ne gagnent pas très
bien leur vie. Ils présentent des difformités physiques : la mère et la
fille sont assez grosses, le peu de dents abimées qu’il reste au père est probablement
lié aussi à des problèmes de santé qu’ils n’ont pas les moyens de régler. Anaïs, quant à elle, suit une formation professionnelle, assez peu intellectuelle. Elle
va donc rapidement travailler et avoir le même niveau de vie que ses parents. On
observe donc dans le film le phénomène de reproduction sociale, qui est le fait
que ceux qui ont des positions dominantes (Emma et ses parents) ou pas (Anaïs
et ses parents) dans la société, les conservent aux générations suivantes.
Ces conditions
sociales mettent en relief l’aspect politique du film. On voit bien que durant
le second tour de la présidentielle en 2017, Emma et ses parents souhaitent que ce soit Macron qui soit élu. C’est l’inverse pour Anaïs et sa famille qui souhaitent
que ce soit le Pen. On comprend donc bien que les milieux populaires votent trop
souvent pour le Front National, parce qu’ils se sentent délaissés et que ce
n’est pas forcément une question de racisme. Un peu plus tôt, dans le
documentaire, on voit que juste après l’attentat de Charlie Hebdo, en janvier
2015, alors que les Français sont un peu secoués, Anaïs, lors d’une conversation avec ses
parents à table, défend les musulmans parce qu’elle explique qu’ils n’ont rien
avoir avec ces actes terroristes, les auteurs étant des islamistes. En
faisant cela, on comprend bien que ce n’est absolument pas une fille raciste. Si
elle est pour Le Pen, c’est simplement parce qu’elle pense que celle-ci va aider
socialement ceux qui sont dans le besoin comme elle. Elle est en fait un peu
comme ces électeurs du PCF qui furent déçus par ce parti dans les années 80,
qui par son alliance avec le gouvernement Mitterrand, ne les a pas tellement
servis, et qui se sont donc tournés vers le FN pensant que ce parti allait les
aider. Elle pense que ce n’est certainement pas Macron qui va les aider. D’ailleurs,
dès qu’elle voit qu’il est élu, elle le traite de « connard » : ce qui
est intéressant, c’est que dès l’élection de Macron, les colères sociales étaient
déjà pressenties et éclateront peu de temps après avec les grandes
manifestations des gilets jaunes qui ont débuté en octobre 2018.
Je dirais donc
que ce film nous invite donc à revoir le jugement que nous avons, nous, Parisiens, sur les gens de la province (car j’ai oublié de préciser que c’est le portrait
de filles qui habitent en province). Nous avons tendance à les catégoriser
rapidement, sans peut-être même prendre en compte leurs conditions de vie et le
fait qu’ils soient quand même assez délaissés.
Je finirai donc
par dire qu’Adolescentes est un documentaire assez original et beau, mis en scène comme une fiction, esthétique et bien travaillé. Il est assez riche et
intéressant par ses nombreux aspects, politiques, sociologiques, psychologiques,
et parce que l’on découvre bien l’un des premiers portraits de jeunes femmes nées en
l’an 2000.
Roméo C. Élève de terminale
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